Sa Vie |
Le tableau a un sujet et un thème.
Sujet : La mer
Thème
plastique (qui véhicule la vraie signification du tableau) : écriture
en droites et courbes, crêtes et ondulations, etc., etc. dont le jeu,
le rythme et l’expression constituent ce qui m’a poussé à
faire de ce
sujet un tableau, ces signes ayant trouvé en moi une réponse.
Ou
bien, voulant à nouveau peindre la mer en revenant l’année suivante, je
suis pris comme à mon insu, par l’expression d’une écriture en
arabesque, celle du figuier et des ses feuilles. Le sujet du figuier
s’impose dès lors (dessins, études, tableaux).
A partir de 1970,
ces signes, ces structures plastiques m’apparaissent comme seules
intéressantes, suffisantes et j’éprouve de plus en plus le besoin
d’évacuer le sujet au profit de son thème. Le tableau se dépouille et
l’échelle des écritures s’agrandit.
En 1980, je commence à
ressentir cette privation de la référence à ce que j’aime comme un
appauvrissement, je ne trouve plus de nourriture suffisante par la
seule imagination. En poussant plus loin et plus longtemps le style
pourrait aussi devenir une matière.
Les signes abstraits deviennent peu à peu branches, vagues, etc., et
enfin figures humaines.
Le sujet est à nouveau intégré.
Ces mutations ne sont pas concertées, elles apparaissent spontanément
dans le courant de la vie.
Depuis quelques années, je travaille en marge du monde marchand et
aussi des tendances ambiantes de la peinture.
Texte
extrait des carnets de l’artiste « Elements pour expliquer
les jonctions entre les périodes »
|
|
|
Gustav Bolin est confronté
pour la
première fois avec le cadre du musée. Et quel musée ! Un des plus
difficiles à animer du Paris.
Longtemps il a eu sa galerie, il a
vécu sous contrat, jusqu’à ce qu’il préfère la liberté, une liberté qui
lui vaut peut-être aujourd’hui cet honneur.
Pour son entrée au
musée, il a repoussé la tentation d’une véritable rétrospective. Ce
qu’il veut montrer au terme de cette année 1973, c’est ce qui fait sa
raison de vivre, ce à quoi il consacre tous ses efforts et son temps
depuis quelques années : ses œuvres récentes, une nouvelle période de
sa peinture.
Que ceux qui le connaissent depuis quelques décennies
ne s’effraient pas. Ils reconnaîtront sous le nouveau style le Bolin
qu’ils ont toujours connu : la sensibilité et l’harmonie des accords
mais en plus exaltées et en plus affirmée la précision élégante et
nerveuse du dessin.
C’est sur le point capital de la
représentation que Bolin a choisi définitivement sa liberté. Il a
atteint le seuil de la peinture pure, dégagé de toute reference aux
objets, les formes signifiantes s’imposant à lui d’emblée, sans modèle,
c’est-à-dire sans prétexte, mais s’inscrivant toujours en des couleurs
qui expriment l’espace et la lumière.
Quand on a 52 ans, et que
l’on peint depuis 35 ans, que l’on est connu et apprécié des amateurs
depuis plus de 20 ans, on a le droit de tout se permettre et on le peut
parce que la peinture est devenue pour vous un second langage, et
qu’au-delà de toutes les audaces, la peinture conserve ses règles et
que lignes et couleurs s’organisent toujours en un certain ordre.
Ce
passage déterminant pour l’artiste, le public parisien aurait
pu le
suivre depuis ses débuts. Mais Gustav Bolin est un artiste discret,
plus, secret, beaucoup trop pour sa renommée. A l’exception d’envois
réguliers à quelques salons parisiens, ce qu’il expose au musée
Galliera est totalement inédit. Lui-même est un des hommes les plus
silencieux que j’ai rencontrés.
Un homme qui mérité d’être
“situé” en quelques lignes. Durant des années, il y a de cela bientôt
vingt ans, nous avons déjeuné côte à côte dans un petit restaurant de
Montparnasse. Souvent nous avons bavardé. Il fallut par hasard pour que
je découvre que le grand maigre taciturne de Montparnasse et le
somptueux coloriste qui exposait régulièrement avenue Matignon ne
formaient qu’un seul homme.
Bolin continue à mener une vie
ascétique sans excès, tôt levé et de bonne heure au travail dans son
atelier de la rue du Moulin –Vert où il eut de longues années pour
voisin et ami le merveilleux Giacometti.
Depuis son exposition
chez Pierre Loeb en 1948, j’ai suivi avec attention le travail de
Bolin, mais je n’ai eu que rarement l’occasion d’écrire sur lui. C’est
à dire qu’il me semble aujourd’hui réparer une lacune indépendante de
ma volonté. Bolin a eu la chance de trouver des défenseurs passionnés
parmi les critiques d’art parisiens. En premier lieu, il y eut Pierre
Courthion qui n’a cessé de l’encourager. Par ailleurs, dans
l’hebdomadaire aujourd’hui disparu et où j’ai travaillé pendant vingt
ans, Bolin avait trouvé un “supporter” enthousiaste en Georges Besson.
Besson se réjouissait de voir un “jeune” (lui même était alors
septuagénaire) qui faisait une peinture résolument moderne sans rompre
avec la figuration. L’attitude courageuse de Bolin lui rappelait le
combat de ses amis Renoir, Marquet et autres. Et Georges Besson se
réservait, en tant que doyen, le privilège de choisir le sujet de ses
chroniques. Il ne serait assurément pas déçu aujourd’hui par
l’évolution de Bolin, car il savait toujours voir au-delà des
apparences et portait très haut dans son estime un peintre comme Estève
avec lequel Bolin a certaines affinités.
Ce récent “passage”, décisif pour Bolin, est à mes yeux une évolution
logique.
Pour
expliquer ce qui est de nouveau, il faut parler de ce qui l’a précédé,
et replacer Bolin dans le contexte des années cinquante, au moment de
la cristallisation de son style, moment qui a coïncidé avec le grand
essor de l’abstraction lyrique en France.
Dans les salons
vivants, salon de Mai, salon des Réalités nouvelles, deux grands
courants se rejoignaient curieusement comme tous les amateurs ont
souvent eu l’occasion de le constater. D’une part, les uns, lassés de
la discipline stérilisante de la géométrie, commencèrent à insuffler
une nouvelle vie à un art résolument abstrait en s’abandonnant à une
liberté de plus en plus grande, à des impulsions venues de plus profond
de leur être. Cette libération s’appela tour à tour « tachisme », «
informel », « abstraction lyrique » et produisit des paysages mentaux,
fort proches de certains paysages dramatiquement réels. D’autre part,
un certain nombre d’artistes amoureux de la nature se libéraient
progressivement des servitudes de la figuration pour rendre au paysage
ce qui fut toujours sa vertu au cours des siècles : être le support
d’un état d’âme. Il n’y a pas de contradiction entre le romantisme de
Lamartine et le lyrisme de Bazaine.
Gustav Bolin se tient à
l’écart de ces abandons aux orages et aux tempêtes de l’âme. Par
tempérament, il est porté à l’intériorisation et à un contrôle constant
de ses impulsions ; et ceci aussi bien dans les toiles plus figuratives
d’hier, qu’aujourd’hui dans la plasticité intégrale.
Depuis ses
premiers dessins des années quarante qui avaient retenu l’attention de
Paul Valéry puis celle de Pierre Loeb, Bolin a abordé, traité et
développé un certain nombre de thèmes. Il y eut les « Figuiers », les «
Rochers », que ce soit ceux de Saint-Rémy-de-Provence ou d’ailleurs, il
y eut des « Mers », houleuses ou calmes, il y eut aussi des nus,
traités comme des paysages.
Je dis bien « thèmes » et non
sujets. Gustav Bolin le fait justement remarquer lui-même. Dans un des
tableaux les plus célèbres de Poussin, il y a deux notions différentes
: il y a « l’Enlèvement de Sabines » qui est le sujet ; au-delà, il y a
le thème qui est celui de la poursuite. Bolin n’a jamais sacrifié au
sujet sans que celui-ci ne soit signifié par un thème.
Ce qui
frappe quand on feuillette les albums où il a réuni les photos de ses
œuvres des années cinquante et soixante, ce sont les constantes qui
dominent les variations des titres. Les figuiers, les roches et les
mers sont emprisonnés dans le même réseau de lignes qui constituent la
trame de son œuvre, le rythme de la sensibilité. A-t-il choisi ces
thèmes pour des correspondances secrètes ? Les a-t-il contraints à
coïncider avec sa sensibilité ? Peu importe ! A travers la variations
et les fluctuation s de son œuvre, c’est toujours Bolin que nous
trouvons. Ainsi pourquoi ne pas renoncer à ce détour pour n’affirmer
que ce qui est essentiel et signifiant ?
Le thème de la peinture de
Bolin se resserre sur lui-même. Nous voici incités à nous
pencher
indiscrètement sur les cheminements de sa pensée, sur les mouvements de
sa sensibilité. Rarement un artiste poussa aussi moins ce dualisme
intérieur qui est à l’origine de tout art, ce combat entre la volonté
d’extériorisation et l’instinct de repli sur soi, cette lutte qui
devient symbolique lorsqu’elle illustre l’affrontement du bien et du
mal. Mais ni le bien ni le mal n’existent chez Bolin, tout y est
positif. C’est l’interrogation d’un homme qui tente de se mieux
connaître pour mieux communiquer ses émotions à ses semblables. Tantôt
la forme se déploie, la couleur éclate, il trouve l’harmonie avec le
monde. Tantôt il nous entraîne dans un univers d’obsession où les
lignes se nouent, où le dessin se live sur lui même.
La spirale
s’ouvre ou se ferme selon le sens dans lequel elle a été tracée. Le
cercle est-il une forme d’expansion ou en rétraction ? Les dominantes
froides, vertes ou bleues, donnent plus d’espace au tableau, les
chaudes sont plus dures, cernent la forme et apportent une densité
inquiétante à la surface peinte.
Par sa culture, Bolin tend à
une peinture ouverte. Mais son tempérament de Nordique dont les
ancêtres ont connu les hivers interminables l’oblige à y intégrer une
vite intérieure intense qui tend à se fermer sur elle même. Son œuvre
est le récit de ce combat dont il sort victorieux.
Georges BOUDAILLE
Préface catalogue exposition Musée Galliera Paris Décembre 1973 –
Janvier 1974
Georges Boudaille (1925 -1991) était un journaliste et un critique
d’art français.
De
1958 à 1972 il a dirigé la section « arts plastiques » de la revue Les
Lettres Françaises dirigée par Louis Aragon. Il a joué un rôle
important auprès de l'architecte Jean Nouvel qu'il a conseillé et
orienté, tout comme les jeunes artistes du mouvement Supports/Surfaces.
Georges
Boudaille a également été Président de la section française de
l’Association internationale des critiques d'art de 1969 à 1974.
À partir de 1971, il est nommé délégué général à la Biennale de Paris.
Il est aussi l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages sur les peintres,
l'architecture, la peinture et l'art en général.
|
|